le dernier tombeau de la reine du nord

(because the sky is blue it makes me cry)

SES PETITES MAINS enfoncées dans la laine de ses gants en cuir suffisamment épais pour lui épargner la morsure du vent -diablotin ailé qui raclait de ses griffes de saphir, d’or, d’ivoire et de diamant ses cheveux pales pour y virevolter- Luise manœuvra d’un mouvement leste du poignet le Léviathan afin de lui débarrasser les flancs de la neige qui les recouvrait telle des millions de petits diamants étincelants et qui retombèrent en une valse majestueuse, libérant les poumons enneigés de la bête qui s’ébrouait, pour se perdre sous l’azur de son ventre ronronnant.  

Les yeux protégés par de grosses lunettes d'aviateur -deux saphirs éblouissants dans le froid, petits phares clignotant paisiblement dans l'air hiémal- elle scrutait le ciel piqueté d’étoiles, de la brume vaporeuse s'échappant de ses lèvres gercées par le froid pour s’enrouler comme un serpent ensommeillé aux écailles bleutées par-delà le cockpit qu’elle avait laissé entrouvert et par lequel la neige s’engouffrait en spirales tordues. L’enfant pilote remonta son écharpe sur le nez, s'emmitouflant davantage dans sa veste doublée de fourrure argentée, la nuque renversée vers les cieux peuplés de monstres célestes -montgolfières trafiquées par la magie et l’alchimie, véritables petites merveilles d’ingénierie naviguant sur la voûte océanique sous l’apparence de gros ballons à air chaud au moteur bourdonnant comme autant de méduses astrales, leurs fils tissés d'argent vibrants dans l'air comme les cordes d'une harpe et leurs nacelles suspendues par des cordes tressées d’or se balançant mollement au grès des vents marins. Plus haut encore, un dirigeable les surplombait, baleine de kérosène aquatile, géante gazeuse nageant avec paresse sur le satin du ciel serti de saphirs stellaires, les pales de l’hélice de sa cabine de pilotage propulsant le colossal cétacé à travers le ciel.

Mais ces frêles machines volantes n’étaient rien comparées au Léviathan. Gigantesque carcasse métallique aux rouages mécaniques cliquetants et aux nerfs grinçants comme celles d’une vieille bête aux crocs émoussées et au cœur rouillé, fabuleux monstre de givre sculpté dans un diamant brut aux contours tranchants, il fendait le ciel de ses soupirs tremblants dont les éternelles ondulations faisaient jaillir des vagues se bousculant furieusement hors de sa gueule, de la vapeur s'évaporant en résonances astrales de ses quatre moteurs à pistons en étoile. Une véritable machine de guerre conçue par les américains lors de la seconde guerre mondiale afin de rivaliser avec la flotte aérienne ennemie : le boeing b29 superfortress. D’une envergure de quarante-trois mètres, et presque d’autant de long, il était normalement composé de onze membres d’équipage : supervisé par son commandant, assisté lui-même d’un copilote, le reste du personnel de bord se composait d’un ingénieur de vol, d’un bombardier, d’un navigateur, d’un opérateur radio, d’un opérateur radar et de quatre mitrailleurs -dont deux qui se positionnaient à sabord, un à la tourelle dorsale et le dernier à l’arrière. Armé jusqu’à ses crocs de métal par douze mitrailleuses browning m2 calibre 50 et d’un canon m2 dans sa tourelle arrière, il pouvait transporter jusqu’à 9000 kg de bombes dans son ventre fumant.
Un monstre qui avait écumé les océans du pacifique, engloutissant des civilisations entières sous son ombre gigantesque, les broyant dans ses mâchoires de fer, réduisant en cendres leurs cœurs.

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