ready or not

Elle a mis le feu. Le canapé est partie en fumée. C'est les cris d'une de ses soeurs qui a amené papa et maman. La petite enfant a allumé un briquet, elle a observé la flamme vers son travail, elle a observé la flamme gagner en terrain, elle a regardé la fumée destructrice envahir l'espace. Elle ne s'est pas inquiétée. Elle ne s'est pas dit qu'à allumer un trop grand feu, elle pourrait brûler sa peau. Jane n'est pas habituée à craindre le danger, ou même à voir qu'il peut exister. Jane est un peu aveugle parfois. Parfois elle voit ce que nul ne voit. L'enfant a senti l'air chaud, elle a aspiré la fumée et elle a répété les clics. On l'a fâchée; l'inconsciente! Il reste plus grand chose du canapé, elle a une trace de brûlure sur sa main docile. On a fait couler de l'eau glaciale sur la marque rougie. Elle ne s'est pas plainte même si ça la titillait, l'inconsciente n'a fait que sourire. Ah, qu'allons-nous faire d'elle, elle en serait dangereuse. Jane s'est assise dans un coin, elle s'est fatiguée des reproches. Elle ne s'est pas excusée, ils ne manquent ni d'argent ni de canapé. Elle a encore les yeux qui brillent. Cette couleur dorée orangée qui rend tout sombre, tout cendre; c'est d'une beauté incomprise. Elle se fascine pour les beautés incomprises. Elle n'a que ses beautés incomprises, celles qui lui plaisent le plus. N'est-elle pas elle-même une beauté incomprise. Elle baisse la tête en entendant le son de talons qui s'approche. Elle lève lentement la tête vers la matriarche Chase. « Donne-moi ton appareil, January. » Elle se mordille l'intérieur de la joue; elle n'aime pas qu'on l'appelle ainsi. Elle tend tout de même l'appareil, elle reste silencieuse tandis que les photos enflammées doivent défiler sous les yeux de sa mère. « Ton père et moi aimerions que tu évites de mettre le feu à la maison. » Elle hoche la tête, sans de réelles convictions. « Mais ce sont de très jolies photos, ma chérie. » Par certains aspects, Jane (January) est celle qui ressemble le plus à sa mère. Inspirée par maman, elle est celle qui se passionne toujours plus de jour en jour pour la photographie. Maman est un modèle, la première muse d'une enfant. Alors, même si elle devrait pas oser (venant de mettre le feu, rappelons), la vilaine enfant sourit fièrement.

« Bordel... » Jane a l'habitude de disparaître. Elle a l'âme d'une vagabonde. On se demande parfois si elle est née dans la bonne famille. Elle se l'est aussi demandée, mais elle a finalement décidé qu'elle s'en foutait pas mal. Alors,
souvent elle disparait, plus ou moins longtemps. Elle traîne dans les ruelles sombres,
glisse plusieurs pièces dans le gobelet en plastique gris d'un vieil homme sans domicile fixe, avant de se pencher au-dessus de lui pour effectuer quelques clics photographiques sur sa barbe sale. Puis elle s'en va dans un petit bois, elle se cache dans des boissons, tente difficilement de faire un avec la nature (si facile quand on est née Chase...) pour que son appareil puisse la voir s'animer.« Bordel de merde! » La curieuse court dans les rues de seattle. Elle détale chez elle. Ses chaussures terreuses salissent le sol. « C'est sérieux? » Elle brandit une affiche au-dessus de sa tête, une affiche pour un cas de disparition, une affiche où apparaît une phot ressemblant étrangement à celle qui brandit la feuille de papier. On ne lui répond pas, ses parents la serrent. Elle pousse un soupir mais rend l'étreinte, ils disent qu'ils ont été inquiets, qu'ils imaginaient déjà les pires horreurs, que ô passer une semaine sans nouvelle d'elle fut difficile. Ce n'est pas la première fois qu'ils lui font le coup. Vaut mieux rentrer chez soit d'elle-même qu'être tiré par le bras par un flic qui peste contre les jeunes richous rebelles. Faudra s'y habituer; elle n'ira pas en s'arrangeant, elle ne restera pas éternellement prisonnière d'une cage de faux-semblant. Elle sortira en boîte, fumera des joints avec un mauvais garçon en mauvais fille, s'écorchera les genoux en sautant d'une falaise, elle fera des bêtises par milliers; sa tenue n'honorera pas le nom qu'elle porte.

Elle renifle. Putain que ça la fait chier. Depuis qu'elle est arrivée à blackwell, elle est heureuse.  Elle se sent plus libre qu'elle ne l'a jamais été à Seattle. Oh, évidemment, elle est toujours Chase, elle ne nie pas ses origines mais plus personne pour freiner la sale gosse aux airs de faux anges. Et pourtant, ça la rattrape toujours. En un instant, ses ailes disparaissent et les larmes coulent. Elle a cette confusion, cette colère, cette déception qui la brûle. Tout parait irréel. Depuis que ce bon Benjamin a disparu. C'est comme une malédiction; un malheur et d'autres suivent. Benjamin, ça a fait mal. Benjamin, ce fut incompréhensible. Un ange est parti, le si bel ange; celui qui sous l'objectif semblait toujours posséder une auréole au-dessus de son crâne, à la silhouette toujours si blanche, si parfaite. Elle s'est fascinée Jane, fascinée pour l'aura divine du garçon passé dans un autre monde, du garçon mort. Fabuleuse muse, ô si fabuleuse, parfois même trop fabuleuse, la plus fabuleuse de toute. Jane s'accroche encore à ses vieux clichés en sachant pertinemment qu'elle ne pourra plus en prendre. Et maintenant? Maintenant elle se sent entourée d'une vague de triste mélancolie; fumant des joints en rêvant d'hurler contre sa famille brisée, contre le père qui les brise, qui les sépare pour une mariage à une jeune femme qui aux yeux de la troisième chase ressemble à une gamine aux airs de salope. Faire comme si tout allait pour le mieux, comme s'il n'y avait qu'à sourire en un éclair pour se sentir bien, et elle - elle qui a été cette boule lumineuse un peu bizarre, elle croit qu'elle sombre un peu, elle croit qu'on l'abandonne.